CHAPITRE X

Un acquéreur mystérieux

 

 

 

LE LENDEMAIN matin, les journaux ne parlaient que de la manière extraordinaire dont la vieille épave avait surgi des profondeurs marines où elle était restée si longtemps engloutie. Les reporters n’avaient eu aucune difficulté à obtenir de M. Dorsel l’histoire de l’antique navire et de sa cargaison d’or disparue. Certains d’entre eux, même, se débrouillèrent pour débarquer sur l’île de Kernach et prendre des photos du vieux château en ruine.

Claude était furieuse. Sous les yeux de sa mère, navrée, elle tempêta sans retenue.

« C’est mon épave ! criait-elle. C’est mon château ! Et c’est mon île ! Tu m’as toujours dit que cela m’appartenait. Tu me l’as dit ! Tu me l’as dit !

— Je le sais, Claude chérie, répondit sa mère. Mais tu devrais te montrer plus raisonnable. Personne n’abîme ton île en y abordant ou ne te porte tort en photographiant ton château.

— Mais je désire que personne ne mette les pieds dans mon domaine ! riposta Claude, le visage sombre et maussade. Cet endroit m’appartient, comme l’épave. Tu me l’as donné !

— Ma foi, j’étais loin de me douter de ce qui allait arriver. Allons, un peu de bon sens, Claude ! Qu’est-ce que cela peut vraiment te faire si les gens vont jeter un coup d’œil à l’épave ? Tu ne peux les en empêcher. »

Non, certes, Claude ne pouvait les en empêcher. Mais cette pensée ne lui apporta aucune consolation, au contraire.

Cependant, les enfants éprouvaient quelque surprise à voir l’intérêt suscité par l’apparition de l’épave.

Par voie de conséquence, le château de Kernach, lui aussi, prenait de l’importance aux yeux du public. Des estivants, qui séjournaient dans les villes voisines, venaient tout exprès pour le contempler. Les pêcheurs de l’endroit n’avaient pas tardé à découvrir le petit port de l’île et y débarquaient des fournées de visiteurs. Claude sanglotait de rage et François faisait de son mieux pour la consoler.

« Écoute, Claude ! Personne ne connaît encore notre secret. Nous attendrons que toute cette agitation ait cessé puis nous irons au château de Kernach et nous trouverons les lingots.

— Si quelqu’un ne les déniche pas avant nous ! » répondit Claude en séchant ses larmes. Elle se détestait de pleurer ainsi mais ne pouvait s’en empêcher.

« Qui le pourrait ? hasarda François. Nul autre que nous n’a regardé à l’intérieur du coffret ! Je vais de nouveau courir ma chance et tenter de reprendre le parchemin avant que quelqu’un puisse mettre la main dessus. »

Le jeune garçon n’eut malheureusement pas l’occasion de mettre son projet à exécution, car il se passa une chose terrible : l’oncle Henri vendit le vieux coffret à un antiquaire !

Un ou deux jours après la vague d’intérêt soulevée par l’apparition de l’épave, il sortit de son bureau, rayonnant, et mit tante Cécile et les enfants au courant de la transaction.

« Je viens de conclure une bonne affaire ! annonça-t-il à sa femme. Tu sais, cette vieille boîte d’étain retirée de l’épave ? Eh bien, j’ai reçu la visite d’un bonhomme qui fait le commerce de curiosités de ce genre et je la lui ai cédée un bon prix. C’est lui-même qui m’a proposé la somme ! Une somme à laquelle je ne m’attendais guère, d’ailleurs… Dès que cet antiquaire a eu vu le vieux parchemin et le livre de bord qu’elle contenait, il a insisté pour m’acheter l’ensemble tout de suite. Il était venu à tout hasard, m’a-t-il dit, pour savoir si je n’aurais pas trouvé quelques pièces de vaisselle ancienne ou de vieux instruments de marine au fond du vaisseau naufragé. Ce que je lui ai proposé a eu l’air de lui plaire davantage encore… si j’en juge d’après le prix qu’il me l’a payé ! »

Les enfants regardèrent leur oncle d’un air horrifié. Il avait vendu le précieux coffret ! Bientôt quelqu’un étudierait la carte et peut-être en découvrirait-il le secret ! L’histoire de la cargaison d’or disparue avait été imprimée dans tous les journaux. Il ne fallait pas être très malin pour deviner ce que signifiait la carte pour peu qu’on y mît quelque réflexion.

Ni Claude ni ses cousins n’osèrent cependant révéler ce qu’ils savaient à M. Dorsel. Celui-ci, à présent, était tout sourires. Faisant montre d’une bonne humeur inhabituelle, il en vint même à promettre aux enfants de leur offrir des épuisettes neuves et un canoë d’acajou. Malgré tout, son caractère était si changeant que mieux valait ne pas s’y fier : peut-être se mettrait-il dans une rage folle si François lui avouait avoir pris la boîte et l’avoir ouverte alors que lui-même faisait la sieste.

Les quatre gardèrent donc le silence mais, une fois seuls, ils se mirent à discuter de l’affaire avec animation. La chose devenait sérieuse. Un moment, ils songèrent à mettre tante Cécile dans le secret. Pourtant, c’était un secret si précieux, si plein de merveilleuses perspectives qu’ils finirent par décider de le garder pour eux.

« Et à présent, écoutez-moi ! dit François pour finir. Nous allons demander à tante Cécile la permission d’aller passer un jour ou deux sur l’île de Kernach… Oui, nous y camperions, c’est bien ce que je veux dire. Cela nous donnera un peu de temps pour fouiller de côté et d’autre et voir ce que nous pouvons découvrir. Leur première curiosité satisfaite, les visiteurs commencent à se faire plus rares là-bas. Peut-être arriverons-nous à mettre la main sur les lingots avant que quiconque ait connaissance de notre secret. Après tout, l’antiquaire qui a acheté le coffret peut très bien ne pas deviner ce que signifie le plan dessiné sur le parchemin. Le nom du château de Kernach n’est pas écrit dessus. »

Le petit discours de François réconforta quelque peu les enfants. Il était si déprimant de rester sans rien faire ! À présent qu’ils étaient décidés à agir, ils se sentaient déjà beaucoup mieux.

Ils résolurent donc de demander à leur tante, dès le jour suivant, l’autorisation d’aller passer le week-end au château. Le temps n’avait jamais été plus beau, et camper sur l’île serait un véritable plaisir. Ils emporteraient beaucoup de provisions avec eux.

Quand ils vinrent trouver tante Cécile pour lui parler de leurs projets, oncle Henri était avec elle. Il était toujours souriant et donna même une petite tape amicale à François.

« Eh bien, les enfants ! s’écria-t-il gaiement. Qu’y a-t-il pour votre service ? Car je me doute que vous avez quelque chose à solliciter ?

— Nous venions demander une faveur à tante Cécile, répondit François poliment. Tante Cécile, il fait si beau,… voudriez-vous nous permettre d’aller passer cette fin de semaine au château de Kernach ? Cela nous ferait, un tel plaisir de camper un jour ou deux sur l’île !

— Ma foi… qu’en penses-tu, Henri ? murmura Mme Dorsel en se tournant vers son mari.

— S’ils en ont envie, qu’ils y aillent ! acquiesça l’oncle Henri. Ils n’en auront bientôt plus l’occasion !… Il faut que je vous prévienne, en effet, mes petits, qu’on vient de me faire une offre magnifique pour le château de Kernach. Un acquéreur s’est présenté. Il a l’intention, non pas exactement de restaurer le château, mais de le transformer en hôtel. Il espère en faire une agréable résidence de vacances. Que dites-vous de cela ? »

La foudre tombant aux pieds des quatre enfants leur aurait fait moins d’impression. Ils fixaient sur M. Dorsel souriant un regard à la fois indigné et plein d’horreur. Quelqu’un allait acheter l’île ! Leur secret avait-il été découvert ? L’individu dont il était question désirait-il acquérir le château parce qu’il avait déchiffré la carte et compris qu’un trésor fabuleux était enfoui dessous ?

Tout à coup, Claude parut s’étouffer. Ses yeux se mirent à lancer des éclairs.

« Maman ! Tu ne peux pas vendre mon île ! Tu ne peux pas vendre mon château ! Je ne le permettrai pas. »

M. Dorsel fronça les sourcils.

« Ne fais pas la sotte, Claudine ! ordonna-t-il sèchement. Tout cela ne t’appartient pas pour de bon. Tu le sais. L’île et le château sont la propriété de ta mère et, bien entendu, elle peut les vendre si elle en a envie. Nous ne sommes pas riches et une grosse rentrée d’argent fera tout à fait notre affaire. D’ailleurs, une fois que l’île sera vendue, j’aurai enfin les moyens de vous procurer à tous beaucoup de choses agréables !

— Je ne veux rien de tout cela ! s’écria la pauvre Claude au désespoir. Mon château et mon île sont les choses les plus précieuses que je puisse jamais avoir. Oh ! maman ! Tu sais bien ce que tu m’as dit… que tout cela m’appartenait. Tu l’as dit !…

— Ma petite Claude, je t’avais donné l’île et le château pour que tu puisses y jouer, alors que je pensais que ni l’un ni l’autre n’avait de la valeur, répondit Mme Dorsel qui semblait très ennuyée. Mais aujourd’hui les choses se présentent différemment. Ton père vient de recevoir une offre magnifique, mille fois plus belle que tout ce que nous pouvions jamais espérer… et nous n’avons pas les moyens de la repousser.

— Ainsi, tu m’as donné l’île parce que tu pensais qu’elle ne valait rien ! s’écria Claude dont le visage était blême. Et maintenant tu me la reprends ! Ce… ce n’est pas de jeu !

— En voilà assez, Claudine, coupa son père avec irritation. Ta mère ne fait que suivre mes conseils. Tu n’es, toi, qu’une enfant. Quand ta mère t’a donné l’île et le château, c’était simplement pour te faire plaisir. Par ailleurs, tu sais très bien que cette vente te procurera beaucoup de choses dont tu as été privée jusqu’ici.

— Je ne veux pas un sou de cet argent ! » répondit Claude d’une voix sourde.

Là-dessus la fillette pivota sur ses talons et sortit de la pièce d’un pas mal assuré. Ses cousins étaient navrés pour elle. Ils devinaient ce qu’elle pouvait ressentir. Elle prenait les choses si fort à cœur ! François songea qu’elle ne comprenait pas très bien la mentalité des grandes personnes. L’oncle Henri et la tante Cécile pouvaient faire comme bon leur semblait. S’ils avaient décidé de se débarrasser de l’île et du château, rien ne pouvait les en empêcher ! Cependant, l’oncle Henri ignorait une chose essentielle : peut-être y avait-il une fortune enfouie dans le sous-sol du vieux château.

François regarda pensivement son oncle et se demanda s’il l’avertirait ou non. À la réflexion, il préféra se taire. Ne restait-il pas une chance pour que les enfants fussent les premiers à découvrir le trésor ?

« Quand vous proposez-vous de vendre l’île, mon oncle ? demanda-t-il.

— Les actes seront signés d’ici à une semaine, répondit l’oncle Henri. Aussi, si vous avez envie d’aller passer un jour ou deux là-bas, faites vite. Plus tard, il n’est pas dit que le nouvel acquéreur vous permette d’aller camper dans sa propriété.

— Cet homme qui désire acheter le château n’est-il pas l’antiquaire auquel vous avez déjà vendu le coffret d’étain ? demanda encore François.

— Si, répondit son oncle, et j’en ai été un peu surpris, car je croyais qu’il ne s’intéressait qu’aux meubles anciens et aux vieux bibelots. Je m’étonne encore qu’il ait eu l’idée d’acheter l’île en vue de transformer le château en hôtel. Cependant je crois en effet que ce peut être une excellente affaire de monter un hôtel là-bas. Le cadre est romantique à souhait et l’endroit pourra plaire aux estivants. Je ne suis pas un homme d’affaires moi-même et je ne me vois pas essayant de lancer un palace sur l’île. Mais notre acquéreur, lui, doit savoir ce qu’il fait ! »

« Il le sait même fort bien ! » soupira François en lui-même, tout en quittant la pièce avec Mick et Annie. « Cet homme a sans doute déchiffré la carte… et il est arrivé aux mêmes conclusions que nous. Il est certain que des lingots d’or, en quantité importante, sont cachés sur l’île. Il se propose de les découvrir. Bien entendu, cette idée de construire un hôtel est un simple prétexte. C’est après le trésor qu’il court ! Je suppose qu’il a dû offrir à l’oncle Henri une somme ridicule que ce brave tonton estime fabuleuse !… Mon Dieu, quelle terrible histoire ! »

François se dépêcha d’aller rejoindre Claude. Il la trouva dans la cabane à outils. Elle avait le teint verdâtre et déclara qu’elle se sentait malade.

« C’est parce que tous ces événements t’ont bouleversée », murmura François d’un ton consolant.

Il lui passa un bras autour des épaules et, pour une fois, Claude ne chercha pas à le repousser. La sollicitude de son cousin lui faisait du bien. Des larmes montèrent à ses yeux, qu’elle essuya d’un geste rageur.

« Écoute, Claude ! dit François. Il ne faut pas abandonner tout espoir. Nous irons demain à l’île de Kernach et nous ferons tout notre possible pour descendre dans les oubliettes et trouver les fameux lingots. Nous resterons là-bas aussi longtemps qu’il le faudra. C’est entendu ? Et maintenant, ressaisis-toi. Nous avons besoin de tes lumières pour nous aider à mettre sur pied le programme de demain. Quelle chance que nous ayons pensé à faire une, copie de la carte ! »

Claude reprit un peu courage. La perspective d’aller camper un ou deux jours sur l’île de Kernach avec ses cousins et Dagobert la consolait en partie du mauvais tour que lui jouaient involontairement ses parents.

« Je continue à penser que papa et maman ne sont pas gentils avec moi ! soupira-t-elle.

— Pas en réalité, si tu réfléchis bien, opina François avec bon sens. Après tout, s’ils ont besoin d’argent, il serait stupide de leur part de ne pas céder un bon prix quelque chose qui, à leurs yeux, ne possède pas grande valeur. Et puis, rappelle-toi… Ton père a déclaré qu’il t’offrirait tout ce dont tu aurais envie. Je sais bien ce que je demanderais, moi, si j’étais à ta place !

— Quoi donc ? murmura Claude, intéressée.

— Dagobert, parbleu ! » s’écria François. Cela fit sourire Claude et, la minute d’après, elle avait oublié sa mauvaise humeur.

 

Club des Cinq 01 Le Club des Cinq et le trésor de l'île
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